Mon père le lecteur
Petite, lorsqu’on me demandait quelle était ma langue maternelle, je répondais « le castillan », après qu’on m’eut expliqué qu’il y avait une ou plusieurs langues, dont la première était maternelle. Je m’imaginais alors dans les bras de ma mère tentant de me bercer ; sa voix et ses sons empreints du lituanien de ma grand-mère, du biélorusse de mon grand-père et de toutes les influences qui colorent l’espagnol argentin venaient à mon esprit, comme un territoire de transmission et de partage dans lequel nous pouvions naviguer à plusieurs. Sans l’énoncer, je trouvais, comme dans beaucoup de mots, une part fondamentalement erronée et arbitraire dans l’expression « langue maternelle », qui excluait d’emblée le père dans l’histoire ancestrale de la transmission. Devait-on attribuer par essence le lieu du langage à la femme ? Et pas n’importe quel lieu, mais celui de la première définition de soi, la langue constituante ? Au fond, je n’ai jamais accepté cette idée venant certainement des langues latines, car si on se réfère par exemple à la Bible, le verbe est attribué à Dieu, clairement représenté comme une figure masculine.
Quelle serait donc une langue paternelle ? Ou plutôt, quel nom aurait cette langue qui structure la base de nos représentations ?
Avoir choisi de publier Mon père, le lecteur est une manière de rendre hom-mage à cette langue venue des hommes, façonnée par une histoire ici franco-argentine, dans laquelle le goût pour la poésie et la littérature traverse des générations d’une rive à l’autre de l’Atlantique.
Fátima Rojas
Rennes, France, mai 2014